Cet été-là, la ville s’était illuminée de nouveau. Pour nous, pas pour elle. Pourquoi ? Elle ne parvenait pas — ou ne désirait pas — à l’exprimer. Cela demeurait un mystère et nous restions perdus en conjectures. Elle avait peut-être peur de la beauté, de la clarté. Ce qui était sûr, c’est qu’elle traînait sa tristesse affligeante partout où elle se rendait. Une tristesse contrastant avec le bonheur ambiant enveloppé de couleurs chaudes qui nous faisaient oublier les rigueurs de l’hiver et les pluies printanières. Nous lui demandions inlassablement pourquoi elle ne partageait pas la bonne humeur de tout le monde. Elle répondait systématiquement par un haussement d’épaules. Cela en devenait désolant et nous avions l’impression que son moral allait avoir raison de la mélodie estivale qui ravissait les cœurs.
Comme je ne supportais plus de la voir souffrir, je lui proposai de prendre un café avec moi. Elle accepta, à ma grande surprise, de me rejoindre dans un établissement réputé pour ses glaces et la musique jazz. Jusqu’à ce jour, elle avait toujours décliné mes invitations. Peut-être voulait-elle enfin se débarrasser du fardeau qu’elle portait depuis trop longtemps ?
Je la retrouvai à une table située dans la partie la plus intime du café. Nous commandâmes, sans échanger un mot. Elle m’observait de ses yeux bleus mélancoliques et j’en étais troublé. Je lui demandai alors pourquoi elle ne voulait pas se joindre à nous. Elle esquissa un sourire qui valait tous les soleils de l’univers. Cependant, elle demeurait muette et je parlai donc pour deux. Nous nous quittâmes et elle promit simplement de me revoir bientôt. J’avais provoqué une brèche dans sa carapace.
Bien plus tard, elle m’apprit qu’elle avait perdu ses parents à cette même époque de l’année. Ce drame avait endormi toute sa sensibilité. Pourtant, notre rendez-vous l’avait ranimée. Elle s’est demandé pourquoi elle ne l’avait pas accepté plus tôt.
© Pascal Marion